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âme-Stram-Gram
26 novembre 2013

Mardi 26 novembre, un matin ordinaire

Mammographie de routine. J’ai casé mon RDV pas trop tôt, ni trop tard, mais si je me débrouille bien, j’aurai le temps de passer à l’atelier de peinture sur porcelaine dans la foulée et être de retour à la maison pour le déjeuner.

Je n’aime pas cette ambiance impersonnelle, ces couloirs à perte de vue, ces couleurs délavées qui n’en sont pas ou plus, ces portes battantes aveugles, ces lumières blafardes, ces gens qui déambulent ou se pressent sans bruit. Et par-dessus tout je déteste ces odeurs, mélange d’aseptisant, de nettoyant, et relents de plateaux repas. Ce lieu m’oppresse de façon irraisonnée, insensée, et incontrôlable.

Ticket, attente, formalités, attente.  Je suis au bord de la nausée. Mon nom. Une cabine. Je me fais la réflexion qu’on se croirait à la piscine plus que dans un salon d’essayage. C’est bête, je sais bien que ce n’est pas une cabine d’essayage. D’ailleurs cela me rappelle que je n’aime pas non plus les vestiaires de la piscine.

Une porte se ferme, une autre s’ouvre, sur un monde glacé de bras mécaniques, de surfaces de verre et d’acier, de lumières bleues et de rayons X ou Y. Plaquée, écartelée, écrasée, comme un insecte pris au piège j’essaye de penser à autre chose, de surmonter le grotesque de la situation. Et d’un. Plus que quelques minutes et ce sera fini. Et de deux. J’essaye de plaisanter, mais ça sonne faux, j’essaye de respirer, mais j’ai l’impression d’être un poisson hors de l’eau. Déjà les sons me parviennent vaguement, lointains, étouffés comme s’ils devaient traverser une épaisse couche de coton, et cette sensation de chaleur moite que je reconnais m’envahit, la sueur perle sur mon corps, mes doigts sont pourtant glacés, malgré la lumière criarde je ne vois plus que du noir, je ne vais pas tarder à m’affaisser. Et comme le poisson au sol ma bouche s’ouvre et se ferme désespérément et j’entends même les saccades de ma respiration.

Malaise vagal et hyperventilation qu’ils disent. C’est la réaction viscérale qui me reste de l’expérience traumatisante de l’hôpital après un accident de voiture dans ma jeunesse. Bon, j’avais prévenu. Je suis maintenant assise, torse nu, un bonbon à la menthe – goût que je déteste – me raccroche petit à petit à la réalité. A mesure qu’il fond dans ma bouche je retrouve ma pesanteur, le sucre coule dans mes veines et mes pieds touchent terre, la menthe m’envahit et la brume s’évapore de mon cerveau. Je suppose que mon teint n’est plus cadavérique et que le bleu de mes lèvres  s’atténue. Oui, je sais c’est toujours très impressionnant quand on ne s’y attend pas. Cela pourrait presque être risible si ce n’était pas si ridicule.

Mais aujourd’hui, la menthe a vraiment très mauvais goût, un goût amer qui me retourne l’estomac. Il va falloir compléter l’examen par une échographie, il y a une masse suspecte. L’épreuve n’est donc pas finie, on joue les prolongations. Mince, c’est mal parti pour que je sois à l’heure pour mon atelier de porcelaine. Bon au moins cette fois je suis allongée, je ne risque pas de tomber. Parce qu’une fois je suis tombée, c’était parmi les premières fois,  je n’avais donc pas encore l’habitude de reconnaitre les signes avant-coureurs ni d’anticiper et je suis tombée la tête sur un coin de radiateur, heureusement que j’étais déjà à l’hôpital.

Ah oui, je suis d’ailleurs encore à l’hôpital … l’hôpital, c’est quand on est malade. Mais enfin, aujourd’hui je n’avais pas l’intention d’être malade, il s’agissait d’un simple examen de routine.

J’ai toujours dit que je détestais la routine, mais dans ce domaine je m’en serais bien satisfaite. Parce que là je viens de prendre l’inattendu en pleine figure, cinglant comme une claque.

La chose est bien là, impalpable encore, mais bel et bien installée. Masse sombre sur le bleu des images, déjà développée  et aux contours irréguliers, tel un îlot sue le bleu des flots. Réchauffer un serpent en son sein, l’expression me saute à la figure. C’est une trahison. Je suis submergée par la colère et la peur et mes larmes coulent malgré moi. Les sanglots et les questions se bousculent. Je n’arrive pas à faire le tri.

J’ai peur, mais je veux savoir, et je veux savoir rapidement. L’incertitude, l’attente, l’angoisse me seraient encore moins supportable que la vérité.

Je suis mécaniquement l’infirmière, je suis maintenant l’une de ces ombres qui déambulent dans les couloirs, je ne retrouverai  jamais mon chemin toute seule, je serai piégée ici à tout jamais.

Prise de sang faite, rendez pris le surlendemain pour une biopsie.

Je ne tombe même pas dans les pommes quand on m’explique de quoi il retourne.  Normalement la simple évocation d’aiguille pour l’anesthésie, de perfusion, de trocart et de canule suffisent à me mettre dans un état second. Mais là mon esprit est obnubilé par cette masse étrangère  que je ne soupçonnais  même pas … peut être hostile, sûrement hostile,  j’ai le profil, la cinquantaine passée, THS. J’ai besoin de savoir et vite. Et s’il faut pour cela percer, enfoncer, creuser, ponctionner, trancher, soit. Qu’on le fasse, mais vite.

Les yeux secs, l’esprit vide, je me retrouve sur le parking, glacée malgré les trente degrés ambiants. 

panorama-femme-enfant-dialyse_BD

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âme-Stram-Gram
  • Ma vie vient de prendre un nouveau tournant, j'ai un cancer. Ma réalité est bouleversée, mes projets sont suspendus. Ce voyage là sera long et semé d'embûches, comme au temps des grands navigateurs, c'est donc un carnet de bord que je me propose de tenir
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